Guerre. Histoires d’Ukraine

Les Ukrainiens racontent comment ils vivent pendant la guerre

« T’es réveillé — bien, tes proches sont intacts — bien », Stanislav Serguéyev, 36 ans, Kharkiv

par | 26 mars 2022 | Guerre. Histoires d'Ukraine, Kharkiv

Illustrated by Liubov Miau

Stanislav Serguéyev, 36 ans, a quitté Kharkiv le huitième jour de la guerre avec sa mère, sa femme et sa fille de huit ans. Le 27e jour de la guerre, ils ont quitté l’Ukraine. Cette courte histoire montre que chaque personne et chaque famille vit sa propre expérience dans cette guerre, trouve sa propre faiblesse et sa force.

Nous avons parlé en utilisant un appel audio du Télégram alors que la famille était déjà physiquement à Varsovie, mais mentalement toujours à Kharkiv. Stas a raconté comment le 24 février vers cinq heures du matin, il s’est réveillé de ce qui semblait être des coups de tonnerre. À travers les stores, il a vu des éclairs de missiles dans le ciel, comme « une pluie de feu ». Il a allumé la télé — ils ont dit là que l’invasion russe en Ukraine avait commencé.

Immédiatement, la peur est apparue : que la guerre avait commencé, que rien ne sera plus  comme avant, et que, peut-être, on n’aura plus rien — de maison, de pays, de vie. Mais il y avait une autre pensée en même temps: c’est une zone résidentielle, on ne va pas tirer sur les maisons. Il n’y a pas d’infrastructure militaire, pensait-il, ce sont juste les gens qui vivent ici.

C’est le district de Saltivka Nord, une partie du massif de Saltivka résidant 400 000 personnes. Le nord de Kharkiv, l’une des premières zones attaquées et les plus affectées. Google Maps conservera son apparence d’avant-guerre, quand même. Il y a un ruisseau sur la rue où Stas habitait. Les sources comme ça sont souvent le seul endroit où les habitants de la ville peuvent puiser de l’eau sous le feu.

Le quatrième jour de la guerre, son père est mort. Cancer, la phase terminale. Stas se souvient du sentiment de désespoir. « Je me suis assuré qu’il était mort, puis j’ai sorti mon enfant de l’appartement et commencé à appeler l’ambulance, la police — mais ils ne répondaient pas ». Kharkiv a été bombardé, alors la famille n’avait pas la possibilité de sortir le corps de l’appartement pendant encore un jour. C’est ainsi qu’ils vivaient : son père mort restait dans la chambre, et la famille se cachait des bombardements et dormait dans le couloir ou la salle de bain.

Il a d’abord dit à sa fille que c’étaient les feux d’artifice, puis a avoué franchement : « C’est la guerre, des gens méchants sont venus nous capturer ». La fille a demandé pourquoi ils étaient venus. Alors on lui a dit qu’on ne savait pas, qu’on ne comprenait pas pourquoi ces gens méchants le faisaient. On n’est pas entré dans les détails pour que l’enfant ne ressente pas de haine.

Stas et sa famille n’avaient pas l’intention de quitter la ville. Au début, il leur semblait qu’ils ne seraient pas affectés, qu’ils ne devraient pas s’enfuir de chez eux. Stas a également essayé de travailler pendant les bombardements. Il travaille comme testeur dans une entreprise informatique, à distance. 

Lorsqu’un obus a attrapé dans la section résidentielle d’à côté, il était dans l’appartement. «J’ai entendu ‘pan!’, j’ai crié: ‘Maman, sors!’ J’étais dos à la fenêtre et j’ai même mentalement dit adieu à tout le monde. C’est comme un deuxième anniversaire pour moi. » Sa section n’a pas été affectée, mais les troisième et quatrième du bâtiment ont été détruites par l’explosion.

« À ce moment-là, tous les problèmes passent au second plan. T’es réveillé — bien, tes proches sont intacts — bien. On échange des messages comme : ‘ça gronde’, ‘ça frappe’. Et puis : ‘On est sorti sains et sauves’, ‘Notre section est démolie’ ».

La dernière goutte était le rêve. Sa fille a eu un rêve : un char est arrivé sur le terrain de jeux et a écrasé sa mère. « Et je suis restée seule et je pleure », a-t-elle dit. Alors, Stas a décidé de quitter Kharkiv.

Le jour où son frère est venu prendre la famille avec sa voiture, leur maison a été bombardée. La porte métallique de l’entrée a été bloquée et les voisins essayaient de l’ouvrir avec des marteaux. Le missile a endommagé la conduite de gaz, et un incendie s’est déclaré. Ils ont attaché les rétroviseurs brisés de la voiture avec des élastiques à cheveux et ont ainsi quitté la ville : huit personnes et trois chiens.

Ils ont vécu dans le village pendant deux semaines, puis sont retournés à Kharkiv pour prendre un train d’évacuation. « Nous sommes arrivés à la gare, nous ouvrons la porte — l’alerte commence. Ma femme a serré notre fille contre sa poitrine et restait comme ça, en attendant que les sirènes se taisent. L’enfant s’est mis à pleurer ».

Le train était rempli à pleine capacité, on a annoncé dans le wagon : « Les hommes vont debout ». De la fenêtre du train, Stas regardait les bâtiments ruinés : plus on s’éloignait vers l’ouest, moins il y en avait. 24 heures plus tard, ils sont arrivés à Lviv. Et puis, l’entreprise où il travaillait les a aidé à déménager de Lviv à Varsovie. Pour la première fois depuis de nombreux jours, la famille a pu dormir sans vêtements, et pour la première fois, peut-être depuis un mois, ils ont pu dormir profondément.

À la fin de son témoignage Stas a avoué qu’au cours de ce dernier mois il y avait eu plus d’événements dans sa vie que dans toutes les années précédentes. Ce qu’il n’a pas mentionné en racontant son histoire, c’est qu’il se déplace dans un fauteuil roulant.

Conversation faite le 26 mars 2022.

Traduit par Oleksii Abramenko

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