Guerre. Histoires d’Ukraine

Les Ukrainiens racontent comment ils vivent pendant la guerre

«Je rêve de rentrer chez moi au plus vite, même s’il ne reste que la fondation», Oksana Tunyk, 36 ans, région de Kyiv – région de Khmelnytskyi

par | 13 mars 2022 | Guerre. Histoires d'Ukraine, Kyiv region

 

Illustrated by Tanya Guschina

 

«Hier, j’ai enlevé mes collants pour la première fois en 12 jours. Je pensais les arracher avec de la chaire, comme j’ai arraché beaucoup de choses de mon cœur ces derniers jours. Mais étonnamment, le corps est tellement figé que plus rien n’y se colle. Même du sang. Nous étions assiégés pendant dix jours. À deux kilomètres de Makariv dans la région de Kyiv. Dans l’un des endroits les plus infernaux d’Ukraine. Sans lumière, sans chauffage, sans eau, sans réseau. Presque sans nouvelles. Hier, nous avons pris le risque fou en traversant le champ sous les  » Grads  » (lance-roquettes multiples)», a écrit Oksana Tunyk, 36 ans, après avoir échappé à l’occupation de la région de Kyiv avec sa famille.

Avant la guerre, Oksana Tunyk travaillait comme productrice créative inventant des formats pour la télévision et le cinéma. Lorsque la guerre a commencé, Oksana et sa famille ont quitté la ville de Boutcha pour partir chez les parents de son mari dans le district de Makariv, persuadés qu’ils y seraient en toute sécurité.

«Ensuite, toutes les sorties ont été bloquées: le matériel russe arrivait, les bombardements ont commencé. De l’abri, nous entendions des colonnes passer pendant deux heures, et ainsi trois fois de suite. Pendant le siège, j’ai appris que si on regarde simplement une colonne de chars, l’un d’eux se retournera et vous tirera dessus, comme il est arrivé aux trois voisins de notre rue. J’ai appris que si on essaye d’emmener ouvertement les enfants à travers les troupes russes, ils vous transformeront en viande hachée, comme il est arrivé à une famille du village voisin».

Les bombardements commençaient à 5 heures du matin, donc on se levait tôt. Oksana raconte qu’il faisait très froid, mais on n’allumait la cheminée que le matin, car la nuit elle est une source de lumière supplémentaire.

«Il fallait chauffer de l’eau, laver la vaisselle, cuisiner de la nourriture, laver l’enfant tous les deux ou trois jours. Si les bombardements n’étaient pas très proches, nous essayions de distraire notre fils. Nous lisions et jouions beaucoup. Nous avons trouvé une radio et nous avons essayé d’écouter les actualités. Mais la plupart du temps, nous sommes restés au sous-sol: le fils de trois ans courait parmi les adultes qui faisaient des « barrières » et le petit les traversait avec le mot de passe « Gloire à l’Ukraine ». Il dessinait sur une tablette pendant pas plus que quelques minutes à la fois tandis que nous regardions la bougie en comptant des coups».

Maintenant, Oksana et sa famille se trouvent dans la région de Khmelnytsky. Elle est épuisée. Elle dit qu’elle n’a pas peur de perdre son emploi ou sa maison, mais elle a peur de ne pas pouvoir tout reconstruire.

«Je rêve de rentrer chez moi au plus vite, même s’il ne reste que la fondation. Rassembler toute la famille autour de la table et embrasser tous ceux que je ne peux pas embrasser en ce moment.»

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