Guerre. Histoires d’Ukraine

Les Ukrainiens racontent comment ils vivent pendant la guerre

«C’est à cause du danger que nous sommes ici. Pour éliminer le danger. Pour défendre Kyiv», Ievgeniia Zakrevska, avocate, combattante de la défense territoriale, Kyiv

par | 12 mars 2022 | Guerre. Histoires d'Ukraine, Kyiv, Kyiv

 

Illustrated by Daria Borodenko

 

Avocate, Ievgeniia Zakrevska, 38 ans, est entrée à la défense territoriale avant l’invasion russe en sachant qu’elle allait défendre Kyiv si la guerre éclate.

«Je me suis entraînée avec la défense territoriale pendant plusieurs mois et je savais où aller et quoi faire au cas où», raconte-t-elle. Et c’est ainsi que cela s’est passé : dès le début de l’invasion russe en Ukraine, Ievgeniia a rejoint les Forces armées ukrainiennes pour défendre Kyiv.

Au cours des sept dernières années, elle a défendu les familles de «centaines de ciel», des personnes abattues lors de la Révolution de la dignité de 2014. Le 24 février, elle devait se rendre au tribunal pour une réunion préparatoire dans l’affaire des membres de Bercut (unité des forces anti-émeute) de Zaporizhzhya. Elle devait aussi passer une commission médicale pour obtenir un permis d’arme à feu : son cabinet d’avocats avait prévu une formation de tir en entreprise.

 

 

Lorsque l’offensive russe a commencé, Ievgeniia a regretté de ne pas avoir fait assez pour se préparer. «La première émotion était : je déteste ! Puis, j’ai commencé à faire quelque chose comme un inventaire de ce qui était déjà fait et de ce qu’il fallait encore faire. Merde, pourquoi n’ai-je pas encore acheté des talkie-walkie et des trousses de premiers soins?», se souvient-elle.

Avec la deuxième vague d’explosions dans la partie de Kyiv où Ievgeniia habite, la lumière s’est éteinte. Mais elle s’est tout de même organisée pour aller au tribunal. Cependant, le procureur a écrit qu’il n’y aurait pas de réunion. Ensuite, des chats ont été inondés par des messages similaires : le tribunal de Darnytsia a annulé toutes les réunions, les tribunaux  Desnianskyi et Shevchenkivskyi ont fait pareil… Alors Ievgeniia s’est rendue au quartier général de la défense territoriale.

Depuis 2014, elle suivait des formations de temps en temps, y compris une formation médicale, elle fréquentait des champs de tir, s’entraînait avec la défense territoriale. Elle est capable de tirer au fusil et connaît des bases de la médecine tactique, elle est aussi en bonne forme physique.

«Nous nous entraînons tous les jours. J’essaie de ne pas rater les entraînements, ça me maintient en forme. On fait du service de garde, on aménage des positions et la vie quotidienne. Selon moi, la guerre est à 80% logistique. Du point de vue de la gestion, une unité est quelque chose qui ressemble à la fois à un camp pour enfants et à une organisation publique. Il n’y a pas ici de division particulière par genre, la répartition des rôles est fonctionnelle. Cependant, les filles sont moins souvent aux services de garde, on les ménage», explique Ievgeniia.

Les uns organisent des procès, la logistique. D’autres qui ont d’expérience de combat ou des compétences d’instructeur donnent des cours, entraînent les autres. Certains sont en contact avec des bénévoles, organisent des repas .

«Mon état d’esprit actuel est une colère saine, comme chez un être qui est à sa place. Qui est au maximum  » ici et maintenant « . Je suis là où je dois être. Je fais ce que je dois faire. J’espère que cela est  efficace».

«Le soutien des parents, des amis, des  collègues, des connaissances et des étrangers est très agréable. Celui de toute l’Ukraine, y compris la Crimée, du monde entier, même des prisons biélorusses et russes. Celui de la lointaine montagne Ararat, de la République Tchèque, de la Norvège, de la Pologne, des Etats Unis… Mes parents sont en sécurité. Je ne m’inquiète pas».

Elle avoue que les propositions constantes de s’évacuer quelque part sont un peu énervantes : «c’est définitivement nécessaire» et «c’est définitivement dangereux» dit-on. «Nous sommes ici précisément parce que c’est dangereux. Pour  éliminer le danger. Pour défendre Kyiv. Nous ne sommes pas ici pour prendre des photos avec des mitrailleuses quand c’est calme et on ne tire pas. Plus que ça : pour les militaires en général, ce n’est plus une évacuation, mais une désertion. Nous avons signé un contrat et prêté serment.»

Lorsqu’on lui demande ce qu’elle fera après la victoire, Ievgeniia Zakrevska répond, «Je prévois de nager à Laspi (une baie sur la côte de Crimée), de monter ensuite à Chatyr-Dag et d’y boire un café.»

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