« Mes proches ont commencé à marcher en direction du quartier de Romanivka à travers le pont détruit à Irpin. Devant se trouvait ma femme avec des enfants et des chiens, et derrière son père, mon beau-père, allait roulant en fauteuil sa femme, la mère de Tetiana. La première mine est tombée dans la plaine inondable de la rivière, à leur droite. Tetiana et les enfants se sont précipités et cachés sous le pont. À ce moment, une deuxième mine est tombée sous le pont. Là, une famille a été coupée en morceaux. Peut-être, c’était la raison pourquoi ma femme et les enfants ont décidé de quitter cet endroit et ont couru en avant. À Romanivka, il a fallu franchir 600 mètres jusqu’au bus. Au milieu de cette route, près de l’église, une troisième mine a atterri et explosé à côté de ma femme et mes enfants », dit Serhii Perebyinis, un ingénieur logiciel de 43 ans, originaire d’Irpin.
Le 6 mars, la famille de Serhii a tenté d’échapper au bombardement de l’armée russe. Ensuite, les envahisseurs ont essayé de conquérir Irpin. À ce temps, Serhii se trouvait à Donetsk, qui est occupée par des militants soutenus par la Russie depuis 2014. Là, l’homme prenait soin de sa mère, qui est tombée malade du COVID. Perebyinis est arrivé à Donetsk une semaine avant la guerre. En quelques jours, les autorités d’occupation ont annoncé la mobilisation. Le domicile de Serhii est enregistré à Donetsk, il pouvait donc être emmené dans les rangs des militants.
Le 24 février, le premier jour de l’invasion à grande échelle de la Russie contre l’Ukraine, sa femme a écrit que quelque chose avait survolé la maison. Serhii l’a dit faire la malle anxieuse. Il a essayé de quitter la ville, mais en vain. À ce moment, l’armée russe a bombardé Irpin du côté de la ville occupée de Bucha. Au début, les proches de Serhii se sont cachés dans les couloirs. Le 3 mars, les envahisseurs russes ont bombardé la maison avec des mortiers. La famille est descendue au sous-sol et y a passé deux nuits. Le 5 mars, ils sont montés à l’appartement et ont parlé à Serhii de leur intention de partir.
« Nous avons parlé de deux options : soit en voiture jusqu’au [village de] Stoianka, soit laisser la voiture et traverser le pont à pied. Bien sûr, je me suis excusé auprès de ma femme de ne pas être avec ma famille. Et elle n’a pas perdu son optimisme et a dit: ne t’inquiète pas, nous allons percer. On l’a vu en 2014. Nous pourrons. Mais ils n’ont pas pu », se souvient Serhii de sa dernière conversation avec Tetiana. La famille est descendue au sous-sol et il n’y a eu aucun contact avec eux. Le lendemain matin, selon la géolocalisation, Perebyinis a vu sur le téléphone de sa femme qu’ils se trouvaient sur l’autoroute de Jytomyr entre Kyїv et Stoianka. En 20 minutes, la géolocalisation a montré que ma femme se trouvait dans un hôpital de Kyїv.
« J’ai appelé mes amis qui habitaient dans le coin. J’ai demandé à venir immédiatement à l’hôpital pour savoir ce qui se passait. Depuis quelque temps sur Twitter, j’ai vu un message disant que des mines étaient tombées sur Romanivka et qu’une famille était morte : un homme, une femme et deux enfants. Et puis il y a eu la première photo, sur laquelle j’ai reconnu tout le monde, – dit Serhii. – J’ai appelé mes amis à Kyїv. Je dis : Gars, les enfants sont allongés sur l’asphalte, ils sont morts, ce n’est pas un fake, c’est vrai. Je les reconnais, cherchez ma femme à l’hôpital. Et puis il y a eu la première vidéo. Et j’ai tout compris ».
La famille de Serhii était dans la vidéo. Tous sont morts.
Pour enterrer sa famille, l’homme s’est rendu à Irpin pendant trois jours. Il s’est d’abord introduit en Russie, puis à travers la Pologne – à Lviv, et de là à Irpin.
L’épouse de Serhii a reçu un éclat d’obus de mortier à la poitrine et au cou. Le fils a le plus souffert parce qu’il était le plus proche du centre de l’explosion et qu’il couvrait en fait sa sœur cadette. Les éclats d’obus ont touché le côté gauche du corps, de la tête aux pieds. La fille a reçu un fragment dans la tempe gauche, dont elle est décédée.
Tetiana a travaillé comme directrice financière dans une société informatique. L’entreprise a déménagé des employés en Pologne, mais la femme a refusé car elle ne voulait pas quitter ses parents malades. Le fils, Mykyta, âgé de 18 ans, a étudié la programmation à l’Université nationale Taras-Chevtchenko de Kyїv. Alice, sa fille de 9 ans, était une écolière.
Serhii soumet des documents au bureau du procureur et aux tribunaux internationaux afin que la tragédie de sa famille ne passe pas inaperçue. Il veut donner à l’histoire un maximum de publicité, car ce que la Russie a fait à sa famille est un crime contre l’humanité. Serhii réalise : « Je ne rendrai rien de moi-même, mais je veux obtenir la vérité et la justice devant les tribunaux ».
Date d’enregistrement 16 mars 2022.
Traduction: Olena Chuprovska