Illustrated by Nastya Kryvonosiuk
«On sortait un chariot avec de la nourriture d’un magasin quand les gens l’attaquaient pour attraper quelque chose. C’était incroyable que nous participions aussi dans cette action», se souvient Viktoria, 46 ans, scénariste dans la vie paisible. Lorsque l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a commencé, elle et ses trois enfants se trouvaient à Boucha, dans la région de Kyiv. Quelques jours plus tard, Boucha est devenue le centre des combats.
C’est la catastrophe humanitaire dans la ville.
La guerre est arrivée dans la région de Kyiv dans les premiers jours de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Ils ont essayé d’occuper la ville, il y avait des batailles actives, alors Viktoria avec son mari et leurs trois enfants – Maryna, 5 ans, Mark, 10 ans et Maria, 20 ans – descendaient au sous-sol de temps en temps.
«Il n’était pas équipé pour un abri antiaérien, il était dangereux là-bas, et, de plus, il faisait très froid et humide. Nous n’y sommes donc allés qu’en dernier recours. Les filles se tenaient mieux et le fils avait très peur, il nous entraînait tout le temps là-bas».
Quelques jours plus tard, l’électricité et le chauffage ont été coupés. Les voisins se réunissaient une fois par jour dans la troisième entrée près du générateur pour recharger les portables. Dans les premiers jours de la guerre, on pouvait acheter de la nourriture dans le magasin après avoir fait une longue queue. Mais ensuite le magasin a été bombardé et les gens ont récupéré tout ce qui restait sous des ruines. Certains supermarchés distribuaient des produits gratuitement.

Entre-temps, la guerre se rapprochait. Un obus est tombé sur une maison voisine, quelque chose a explosé à côté sur la voie ferrée, des chars détruits restaient près de l’école de son fils et de violentes batailles continuaient. La famille de Viktoria n’osait pas s’en fuir et ils passaient des nuits et des jours au sous-sol. Boucha était déjà occupée par les russes. On a amené un voisin blessé dans le bâtiment, on lui avait tiré sur les jambes d’un véhicule blindé russe. Tous les voisins l’ont soigné, il a survécu.
«Il n’y avait plus de lumière, mais nous faisions gaffe même avec les lampes de poche et les bougies pour que personne ne remarque notre présence. Il n’y avait presque plus de réseau mobile, on ne pouvait le capter qu’à un seul endroit sur le balcon. On ouvrait la fenêtre et on voyait des bâtiments noirs et déserts. Et il n’y a pas longtemps, Boucha était confortable et lumineuse. Difficile de se rendre compte de tel changement», dit Viktoria.
Elle se souvient: être dans un sous-sol sombre et humide crée une dépendance. «On tombe dans une sorte d’anabiose. On se sent en fausse sécurité, ça paralyse la volonté et il devient de plus en plus difficile d’en sortir». Des amis qui avaient fui Gostomel ont inspiré Viktoria à partir. Leur maison avait été bombardée, alors ils étaient venus à Boucha avec deux enfants sous le feu, à côté des corps morts et du matériel détruit. Les deux familles se sont consultées et ont décidé de partir, car la situation s’empirait. Le matin, ils ont rassemblé les choses les plus nécessaires dans de petits sacs à dos et ils ont couru sous le feu jusqu’à Irpin. Là, dans le parc, ils ont dû tomber par terre.
«Quelque part à proximité, il y avait des explosions et des tirs de mitrailleuses, quelqu’un tirait justement au-dessus de nos têtes. Mon mari a couvert notre fille de 5 ans avec son corps. Quand tout s’est calmé, nous avons continué à courir. On a dû tomber par terre encore quelques fois, car des explosions et des coups de feu retentissaient partout, du verre s’éclatait. Ma tête explosait à cause du bruit fort. Tout était comme dans un film d’action. Si quelqu’un m’avait dit que j’y participerais, je ne l’aurais pas cru».
Finalement, la famille a atteint un point de contrôle ukrainien et est montée dans un bus d’évacuation. Il y a eu des tentatives de le bombarder, mais les gens sont arrivés à Kyiv sains et saufs.
«Après notre départ, une femme a accouché dans le sous-sol de notre bâtiment, et le bâtiment d’à côté a été bombardée. Ils ont bombardé le gazoduc, et maintenant il n’y a plus de gaz à Boucha, c’était la seule chose qui restait aux gens pour continuer à vivre. Il reste encore plusieurs familles et 20 à 30 retraités dans notre maison», explique Viktoria.
Maintenant, elle est à Svaliava chez son amie de l’université. Elle prévoit d’aller en Allemagne chez ses amis, mais son fils est un peu malade, alors Viktoria n’ose pas encore partir. Son mari est resté à Kyiv et s’est inscrit dans la défense territoriale. «Il est scientifique et il n’a aucune expérience militaire, mais il ne veut partir nulle part par principe, il veut défendre la capitale pour que nous ayons l’endroit pour y retourner», dit Viktoria.
Et elle ajoute, «Mon cœur est brisé à cause de notre maison. Toute la vie est restée là-bas, notamment les photos de mes parents qui ne sont plus en vie. Et devant nous est l’incertitude totale». Mark, 10 ans, dit de temps en temps, «Rentrons chez nous, à Boucha». Mais il comprend que pour l’instant sa famille n’a pas d’endroit pour y retourner.













